Les 1107

Fatou

Une mine a été creusée à proximité du village. Fatou a vu les camions, la colère et les gens partir. Sa mère parlait de l’eau rouge dans le puit et de son frère qui gardait toujours sur lui la balle qui avait failli le tuer le jour où il avait tenté de passer la clôture entourant la mine. “ Y a de l’or ! Rien à perdre ! ”. Et son grand père qui ne cessait de dire : “ Je veux connaître la vérité, juste la vérité ! “. Fatou était intriguée par ses mots. Elle ne comprenait pas tout mais savait qu’il fallait s’en souvenir… Il y avait aussi ce jeune blanc avec un appareil mesurant l’air : “ Normalement faudrait pas rester là plus d’une heure ! “ Le jeune blanc était reparti. Pas eux !   Et le  grand père qui lui ne partirait jamais… “ Pour aller où ? ”Alors Fatou s’était assise contre l’arbre et avait cherché dans le texte du cahier pour savoir s’ils parlaient des mines qui remplaçaient les villages…

Le monsieur est venu de la ville dans son 4×4 tout blanc, à croire qu’il passe son temps à le laver… ou le faire laver… Il a l’air content avec tous ses cahiers. Tu me diras, moi aussi !  Ca fait deux ans que je fait avec l’ancien. J’arrête pas d’ gommer… En fait je sais pas ce qui m’agace le plus : le monsieur ou ce qui est écrit. Il y a deux ans, c’était juste des cahiers d’école avec le logo et c’est tout.  Là sur les 4 premières pages, t’as LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’ENFANT DE 1959 ! Je comprends pas tout et ce que je comprends, je suis pas sûr de saisir ! Ça fait 60 ans qu’ils ont écrit ça, grand père avait mon âge… Et ma mère qui me sourit, me tapote le crâne. Elle est juste contente parce que je lis et que je ne fais pas comme les autres à courir partout avec le cahier en l’air. ”
Revo : Ton monsieur là, lui au moins il est venu !

 

Ici je tousse … Mais moins que mon frère au téléphone.
Y veut pas venir.
Rester avec grand père et sauver le village qu’il dit !
J’aime pas cette ville !
Ça sent mauvais, les gens sont laids et y a tout ce bruit… Ma tante qui m’a amené ici me dit que c’est une porte vers ailleurs !!! Comme moi elle a quitté le village petite.
Elle partira jamais d’ici. “ Faut pas qu’tu fasses comme moi Fatou !” Et quand je lui pose des questions, elle baisse la tête.
C’est quoi “ Comme moi “? Mais elle a raison je ne ferai pas comme elle.
Je partirai !Quand j’ai parlé de tous ces gens à VS, y m’a envoyé c’ brouillon
C’est comme ça qu’il appelle ses gribouillages.

Illustration : Emilie F

Revo

Revo relit les messages de Fatou, Meva, Paul et les autres…
Assis sur le ponton bringuebalant, les jambes dans le vide, Il parvient tant bien que mal à faire abstraction des bruits du village.
Toutes les semaines, ils changent le code à côté du dispensaire. Revo ne sait pas au juste ce que font les gens dans ce grand bâtiment blanc. Il a bien essayé de poser la question… Hier il y est allé. 
Quand le code est dispo, il y a toujours plein de gens agglutinés autour. Là personne. Pas de code. Faudra encore attendre que quelqu’un le chope. Dans les anciens messages y a ceux du Vieux S. Y a  surtout ses brouillons comme il les appelle. Revo a bien tenté de lui dire qu’un brouillon, c’était pas ça ! Un brouillon ça se jette ! Lui semble les stocker. Quand Swan en envoie un, on ne sait jamais vraiment à quoi il répond ou s’il faut  comprendre quelque chose. Et si on demande, on a l’droit à un nouveau brouillon ! De toute façon, Revo ne voit pas grand chose sur son écran. Y a qu’à l’école qu’il peut agrandir et fouiller… quand il a accès au seul ordinateur connecté.  Ce brouillon doit être plus ancien. Pas de bonhomme bizarre… “ Je suis parti à l’école”. Ça n’est pas l’ écriture de Swan. P’têt l’un d’ses gosses. On ne sait pas bien quel âge il peut avoir. Il a eu des enfants c’est sûr. Il en a parlé une ou deux fois… au passé.

Illustration : Quentin Caillat. @quentcaillat.

 

PAUL

Sullivan ex flic, ami de Swan* ex prof, parle de Paul l’un des 1107.

Paul est le fils de Jacquot, un brave type croisé sur une enquête. Peu de cervelle Jacquot, il a tout filé au fiston. Le gamin a certes démarré sa jeune existence avec quelques boulets aux pieds mais pour Jacquot ça relevait du scellement dans le béton. Rarement vu une telle synergie entre générosité et guigne. Il a pas dû enchaîner plus de trois mois sans problème. 

Au Clair Obscur*, un troquet du vieux Lille,  je le vois encore pleurer dans le cou de son fiston de 3 ans l’étouffant à moitié dans ses bras trop frêles puis éclater de rire quelques minutes plus tard.
J’avais coffré Jacquot à la suite d’une affaire de recel. Le pauvre bougre n’a jamais compris dans quoi il s’était embarqué. Jacquot c’était le genre de type qui se regarde glisser toute sa vie. Son espoir à lui, c’était Paul.

On aimait pas trop qu’il l’amène au Clair.
–   Mais pourquoi ? Il est bien là !
–  Il a trois ans bordel Jacquot !

Puis chacun y allait de sa petite recommandation. Faut dire qu’y en avait du conseiller familial au Clair Obscur. Côté expérience c’était fourni.
Les yeux trop grands du petit Paul mettaient rapidement un terme à toutes ces élucubrations alcooliques. A trois ans il semblait déjà comprendre que le type qui l’étreignait serait son lot jusqu’au bout. 

Paul devait avoir une douzaine d’année,quand je lui ai raconté l’histoire de Swan et de ces gamins : Fatou, Révo, Méva… A ma grande surprise ça  a fait mouche. 

Une semaine plus tard il était dans le groupe et proposait aux autres un nom d’guerre : 

“LES 1107 !  Ça fait boyscout juste c’qui faut”

Ils ont mis un certain temps à saisir  le personnage puis se sont habitués à sa gouaille de blanc…

A 14 ans, niveau malchance, Paul a déjà eu sa dose. Un peu le cas de tous ces gamins…
Deux ou trois semblent être nés “au bon endroit” mais pas en reste côté colère.
A y regarder de plus près,  quelque chose relève de l’équilibre dans cette drôle de bande, une sorte d’organisme vivant rejetant les incompatibles, l’énergie adolescente comme ingrédient principal…
A part ça,  bien incapable de vous dire comment tout cela tient.
Swan semble ne pas trop se poser la question.
Il sait qu’il en est à l’origine, tente d’y mettre des coups de patte, se fait rembarrer à l’occasion, disparaît, revient, disparaît à nouveau.
Faut dire qu’il aime ça “ Disparaître ”, Swan.
Au départ deux ou trois gamins concernés par son ancien projet balancent quelques commentaires. De trois, ils montent dix. Au bout de six mois, ils ne sont plus que 5.
Puis quelques intrus apparaissent dans la bande
dont Paul….

Illustration  : rue Guy Môquet, le 1er arrondissement de Marseille, collage de Mako Deuza