Pédagogie

11-07 s’articule sur l’idée qu’un savoir gagne à circuler et sortir du cadre où il a été produit…

Voici quelques extraits d’un mémoire sur l’interdisciplinarité écrit par l’un des membres de 11-07.

Depuis plusieurs décennies, l’éducation nationale tente de mettre en avant une autre pratique de l’enseignant que la pratique académique autrement dit un enseignant possédant les savoirs et les élèves devant les acquérir. Ce que l’on pourrait considérer comme un serpent de mer trouve certainement ses origines dans les constats d’échecs relevés au fil des différentes réformes.

Même s’il y a des réticences face aux nouveautés pédagogiques, il se trouve toujours des enseignants pour accepter de mener les différentes expériences proposées. Le soucis réside peut-être dans ce terme : « expérience ». Souvent présentés comme des dispositifs quasiment calibrés, ces nouveautés ne laissent que peu de place aux tests ou aux propositions, celles-ci ayant été faites avant, nous dit-on ! Nos élèves ne sont pas des cobayes diront certains. Mais il ne s’agit pas ici d’eux, en tous cas, pas au premier chef, mais bien de nous enseignants et de notre capacité à encadrer ces séances alternatives.

Nous ne sommes donc plus dans un cadre classique, autrement dit :

  • un cours, disponible sous plusieurs formes ( manuels, sites internet, plate-formes, etc)

  • des références à nos propres études

  • du recul par rapport aux méthodes et aux savoirs enseignés.

Le concept d’interdisciplinarité

Dans un premier temps définissons le terme. Pour cela comparons le à ses deux variantes que sont la pluridisciplinarité et la transdisciplinarité. Nous nous appuyons sur des travaux proposer par l’ICRA et sur un entretien avec Basarab Nicolescu réalisé par la revue SOL . Nicolescu est le fondateur du CIRET (Centre International de Recherches et d’Etudes Transdisciplinaires) dont l’une des ambitions est de placer l’interdisciplinarité au cœur de l’enseignement des sciences. Il nous rappelle que le nombre de disciplines enseignées aujourd’hui dans les universités américaines est d’environ 8.000 ! On ne peut donc plus se contenter de laisser tous ces domaines interagir sans se poser la question du sens donné aux travaux transversaux.

Commençons par la pluridisciplinarité. Elle peut se résumer à une cohabitation entre plusieurs matières sur un même sujet. En général il en résulte une simple juxtaposition des données produites dans chaque discipline.

Il s’agit donc pour nous de faire passer nos élèves au stade suivant, celui de l’interdisciplinarité. Ici la notion de problématique est centrale. Or celle-ci est rarement claire pour nos élèves surtout dans le cadre qui nous occupe. Les élèves devraient sans cesse tenir compte des résultats que chaque matière a mis en avant. Un travail interdisciplinaire est un processus dans lequel on développe une capacité d’analyse et de synthèse à partir des perspectives de plusieurs disciplines (source : ICRA). A signaler que dans les travaux liés à l’interdisciplinarité, les auteurs font souvent référence à des équipes de chercheurs spécialistes d’une discipline … L’une des spécificités de l’interdisciplinarité est la notion de conflit. Nous nous devons en tant qu’encadrant de les provoquer. Et puisqu’ils ont tendance à se cantonner à une matière, ils n’ont pas ce réflexe de mettre en perspective leurs résultats avec ceux établis par leur camarades. On peut expliquer la difficulté à mettre en place l’interdisciplinarité par le fait que chaque discipline correspond à un « modèle conceptuel » spécifique. Bachelard parle de rationalisme régional. Identifier ces modèles ne relève pas du travail de l’élève, il s’agit plus d’un point que les enseignants encadrants doivent garder à l’esprit.

Pour conclure s’il fallait retenir une définition de l’interdisciplinarité , retenons celle de l’ ICRA : un transfert des méthodes d’une discipline donnée à une autre discipline

Le concept de transdisciplinarité est plus délicat et la différence avec l’interdisciplinarité n’est pas toujours très claire. Il s’agit de dépasser les limites de chaque discipline… Elle s’appuie sur l’idée de fluctuations de frontières entre les disciplines. Elle s’intéresse entre autre à « ce qui est au-delà ». La transdisciplinarité est censée construire ses propres contenus et méthodes, à partir des problèmes du monde réel, en exploitant de nombreuses disciplines ( ICRA).

Historiquement, on peut situer les prémisses de la pluridisciplinarité au 13 ème siècle. Jusque là, même si la plupart des érudits avaient des compétences dans plusieurs domaines, identifier chaque matière pour ensuite mettre les résultats en parallèle n’était pas dans les habitudes. On situe les prémisses de l’interdisciplinarité au sens où nous l’avons défini plus haut au début du 20ème siècle. Pour la transdisciplinarité, Nicolescu estime qu’elle est née à l’initiative de Jean Piaget (l’un des pères du constructivisme) en 1970.

On constate chez les élèves une sorte de fascination pour les limites de leurs connaissances… et le pouvoir qu’elles ont sur leur imaginaire. Et le problème est bien là ! Ne maîtrisant que difficilement théories et méthodes hors du cadre matière, cet imaginaire s’appuie sur trop peu de rationalité pour que nous puissions parler de transdisciplinarité. D’ailleurs Nicolescu nous explique que l’un des domaines dans lesquelles celle-ci a pris toute sa mesure, c’est la mécanique quantique. Ce domaine tout récent des sciences balaye le principe de tiers exclus ( pour toute proposition p, soit p est vrai, soit non p est vrai…) et foule donc ces limites qui semblent définir la transdisciplinarité. Nicolescu rajoute qu’elle est de surcroît compatible avec la théorie de la complexité développée entre autre par Edgar Morin !

… Une différence entre pluridisciplinarité et interdisciplinarité et le rôle donné à la technicité. Citons pour cela Guille-Escuret :

Dans le cadre d’une pluridisciplinarité, la technicité consiste dans l’utilisation de modèles disciplinaires bien identifiés alors que lorsqu’il s’agit d’interdisciplinarité elle est au service de la créativité (1989).

Education ou instruction chez Joseph Jacoto

Ce paragraphe s’appuie sur une émission de France Culture « les nouveaux chemins de la connaissances d’Adèle Van Reth » intitulée, l’éducation (2012)

Les TPE s’inscrivent pleinement dans la distinction faite entre éducation et instruction. Là où l’instruction rectifie, l’éducation émancipe. L’instruction ne dure qu’un temps, s’attachant à des termes précis contrairement à l’éducation qui tente d’éclairer les mots par des problèmes.

Puis il y a la méthode. Pour Socrate attaché à Eros il y a l’idée du désir dans la quête du savoir. Ce principe semble pour certains avoir été plus que perverti. A force de vouloir amener l’élève à désirer apprendre, le sens de l’effort si cher à Alain Finkelkraut à été réduit à peau de chagrin.

De Rousseau aux béhavioristes, l’idée de laisser le temps agir, a fait son chemin…

Intéressons nous aux thèses de Joseph Jacoto (XIX siècle) qui plaçait d’un côté l’apprentissage empirique de l’autre le raisonnement qui va du simple au complexe ou encore de la partie au tout. Ce philosophe rejetait le modèle d’éducation de l’époque. Jacques Rancières qui s’est donné pour tâche d’exhumer les travaux de ce penseur oublié semble estimer que depuis, le modèle de l’école n’aurait guère évolué. Derrière les enseignements type TPE ( classe de première générale), il y a bien l’idée de sortir de ce schéma. Jacoto disait même qu’il fallait apprendre sans explication ! Il avançait déjà des idées comme celle de dire qu’entre maître et élève, il ne s’agit pas d’une intelligence supérieure à une intelligence inférieure mais d’une intelligence à une intelligence d’une autre nature… Ou encore que l’on peut apprendre aux autres ce que l’on ignore soi-même, donc rien de neuf !!! Le grand responsable serait l’institution qui la bride !!

Retenons pour finir cette maxime inspirée des thèses de Jacoto : « apprendre se décline en deux points : être informé d’un contenu de connaissances et découvrir sa position par rapport à ce contenu ».

La noosphère chez Teilhard de Chardin

Nous nous inspirons ici largement de la conférence donnée par Anne Fagot (2009) au collège de France, dont le thème était Noosphère et World Wide Web.

Nous ne pouvons parler d’interdisciplinarité sans aborder les cadres dans lesquels elle tente de se développer. Les critiques aboutissent régulièrement à l’argument d’un système éducatif trop recentré sur lui-même. La réponse à cette critique serait donc de se tourner vers l’extérieur de ce système. Abordons la notion de noosphère qui pour Chevallard est constituée par l’ensemble des personnes et des groupes dont la fonction est d’assurer l’interface, la relation entre le système d’enseignement et la société globale.

Ce concept datant de 1925-1926 est en général attribué à Teilhard de Chardin, même si Vernaski et Leroy furent impliqués de très prêt dans son élaboration. Nous ne nous attarderons pas sur la mystique de Teilhard qui pourtant prend une place importante dans sa théorie. Réduisons ce concept à deux idées :

  • La noosphère est définie par rapport à la biosphère, elle-même définie comme zone non réfléchie de la terre.

  • La noosphère serait alors la couche humaine de la terre autrement dit la sphère de l’esprit.

Quel rapport me direz-vous avec la définition de Chevallard ? Et bien, l’idée est que la réflexion didactique au sein des sphères de l’enseignement, peut rester stérile si elle ne s’oriente pas, au moins en partie, vers la noosphère. A force de vouloir se prémunir d’une ingérence de celle-ci dans les affaires de l’école, nous passons à côté de sa puissance de remise en question, et de réorganisation.

Ce retour sur la définition initiale de la noosphère met en évidence la libérté que Chevallard a pris quant à sa propre définition. Pour lui, elle représente des groupes d’individus s’exprimant sur un domaine particulier alors qu’Anne Fagot présente une définition teihlardienne bien plus large. Cette noosphère originelle se constitue d’individus certes mais aussi toutes les pensées qu’ils produisent. Elle souligne le concept d’individuation collective, l’objectif étant de devenir un élément constitutif d’une communauté scientifique la plus large possible.

L’un des principes fondateurs de la noosphère pour Teilhard est d’élargir la vision. En rencontrant d’autres adultes que leurs enseignants, en consultant d’autres documents que les sources scolaires habituelles, ils se confrontent à ce mélange des sciences. S’enclenche alors une série d’allers-retours entre éléments scolaires et éléments non scolaires.

Pour faire le lien avec le Web, Anne Fagot s’inspire des travaux de Gilbert Simandon (1964).

Ce dernier parle de globalisation du savoir par la médiation de la technique. Chaque groupe de la noosphère produit des connaissances que Simandon appelle des significations et la technique ouvre sur un terrain d’entente. Pour Anne Fagot, le web remplit cette définition.

En analysant wikipédia comme producteur de connaissances non produites par des experts (la plupart du temps…), elle dégage trois tendances : « L’information relèverait du témoignage plutôt que de la science » ; « il faut apprendre à l’utiliser mais ça ne peut pas être le référent principal » et enfin « ça n’est pas fait pour ceux qui ne connaissent pas le sujet !».

La rationalité chez Bachelard

« Découvrir est la seule manière de connaître », pour Bachelard il s’agit du premier axiome en épistémologie. Il nous met ici en garde contre les tenants du tout magistral. Ceci étant acté, quelles méthodes mettre en place ? Les empiristes sont d’accord avec cet axiome même s’ils différent des rationalistes sur la mise en œuvre, en se concentrant sur les faits. Pour Bachelard, il y a certes une phase pratique indispensable, mais l’objectif reste l’abstraction. Cet objectif n’est pas le notre. Les élèves doivent justement s’extraire de la théorie dans lesquels leurs cours sont parfois engoncés pour l’appliquer à leur sujet d’étude. Rappeler cet objectif ultime chez Bachelard est une manière pour nous de mettre le doigt sur une tendance qu’ont les élèves à se laisser glisser vers les faits sans revenir à la théorie, comme si celle-ci n’était qu’un point de départ, un alibi…

La pensée rationnelle est une pensée de constante réorganisation, celle-ci ne peut se faire sans la théorie. Un enchaînement de faits, de compte-rendus d’expériences, devient vite stérile si la dialectique faits/théories n’agit pas sur la construction d’une problématique.

Une des fonctions de l’enseignement scientifique est d’ailleurs de susciter ces dialectiques. Bachelard parle aussi de la dialectique manifeste/secret, l’idée étant qu’il n’y a de science que dans ce qui est caché. Quand les élèves accumulent les données sur le sujet choisi, peu d’entre eux prennent le risque de s’engager sur les chemins de traverse.

Il nous dit encore qu’il y a plus de rationalité dans le complexe que dans le simple, contrairement aux visions cartésiennes. L’idée est de ne jamais perdre de vue les éléments que la phase de simplification laissera de côté pour une explication plus compréhensible. Toute la difficulté étant de faire la différence entre simplicité et simplisme, ce qui nous amène aux théories formalistes. A ce sujet Bachelard nous dit que le formalisme peut dégénérer en un automatisme du rationnel et la raison devient comme absente.

… L ‘une des tâches de l’enseignant est de gérer le flux d’idées. Bachelard parle de l’intensité d’une idée. Certaines ayant un rôle de centralité alors que d’autres n’ont qu’une fonction de truchement… Même l’enseignant ne peut être sûr de l’importance de telle ou telle idée, la problématique n’étant arrêtée que tardivement. L’idée n’est pas un résumé, c’ est un programme. Le travail de réorganisation prend ici tout son sens : allez chercher dans chaque idée, pas seulement ce qui peut consolider le propos général mais ce qui peut le structurer. La pensée rationaliste rectifie, elle prépare l’inattendu. Quand l’élève s’enthousiasme (et cela arrive!) devant un pan de la théorie qu’il ne soupçonnait pas, à nous de lui faire saisir l’idée qu’une théorie n’est jamais définitive.

La complexité chez Edgar Morin.

Edgar Morin parle d’intelligence aveugle quand pour remédier à la disjonction des sciences ( physiques, mathématiques, biologie etc… ) on cède au principe de simplification et que dans le même temps la communauté scientifique s’hyperspécialise. Le réel dans toute cela perd de son contenu.

Nous ne pouvons alors qu’effleurer les contenus, les résumer. Or depuis Bachelard, l’idée, qui chez Hume n’était qu’une image floue de la pensée, n’est pas un résumé mais un programme. Nous dépensons tellement d’énergie à faire en sorte que nos élèves comprennent de quoi ils parlent qu’au final, les enseignants des jurys s’estiment satisfaits quand les éléments sont clairs et bien définis (vision toute cartésienne !!). Depuis des années nous entendons Alain Finkelkraut conspuer l’école et en particulier la disparition de l’effort chez l’élève. Il n’est pas rare non plus d’en entendre certains tenir des propos du genre  :

  • c’était bien… mais on n’a pas tout compris…

  • On a poser de questions… mais, il était dans son truc

    Un travail de tri, d’explications et de rédaction s’enclenche alors avec les enseignants.

    La complexité définit par Morin est un tissu d’événements, d’actions, d’interactions, de rétroactions, de déterminations et d’aléas qui constituent notre monde phénoménal. Quand nous assistons les élèves dans leurs travaux, nous devrions faire en sorte que chacun de ses éléments apparaissent, au moins dans un certaine mesure.

    Toute la difficulté est de le faire en rendant l’ensemble compréhensible, d’où un certain niveau de simplicité. L’une des idées reçues combattue par Morin est de croire que la complexité conduit à l’élimination de la simplicité. Bachelard disait que le simple n’existait pas, qu’il n’y avait que du simplifié …

Pour conclure sur le problème de l’hyper-spécialisation, Morin nous dit qu’une théorie qui se veut fondamentale échappe au champ des disciplines. Elle les traverse. Il parle de perspective transdisciplinaire voire indisciplinaire… Donc la spécialisation n’est pas un problème en soit, il s’agit juste de ne oublier cette perspective. La problématique ne doit pas se perdre dans les disciplines comme nos élèves ne doivent pas se laisser figer par les spécificités des matières que nous leur enseignons.

Du point de vue épistémologique, le XX ème siècle a clairement mis en avant la notion de relation plutôt que celle d’objet. Distinguons les connaissances en deux catégories  : les objets d’enseignements et ceux extérieurs aux institutions scolaires. Nous privilégions donc les relations entre objets de connaissances qui agissent dans les deux sens. L’enquête correspond au sens extérieur institutions scolaires. La relation dans l’autre sens manque. Certains diront que le niveau des travaux ne le permet pas. Fausse excuse, nous semble-t-il ! Le partage de données n’est plus aujourd’hui une affaire d’experts et une analyse même partielle peut trouver sa place. Il y aurait là tout un travail à faire sur la façon de nourrir avec ces productions la noosphère (au sens de Teilhard de Chardin)… dont la dynamique réside dans sa capacité à mobiliser des données de manière non prévue par ses auteurs.

Alors deux positions s’offrent à nous. Soit nous disons que ce type d’enseignement convint peu de monde, que les élèves y voient la plupart du temps une sorte de récréation, ou encore que certains collègues ne comprennent pas bien la place qu’ils ont à tenir, sans parler des parents qui se demandent si leurs enfants ne seraient pas mieux faire du soutien plutôt qu’à faire des exposés !!!